Melbourne, la bien-aimée

melbourne

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<<<< "- je peux m'asseoir ici, s'il vous plaît ?" "- Où ?" L’état australien est né un matin de 1901 ; de la confédératation des anciennes colonies britanniques devenues les états du nouveau pays. Mais que choisir comme capitale ? Entre Sydney et Melbourne, les deux éternelles rivales ? Difficile choix que le nouveau pays choisit...de ne pas faire, en tirant un trait entre les deux villes, posant un point à équidistance : « Nous créerons la capitale ici, et elle s’appellera Canberra ». C’est comme ça que la rivalité entre les deux villes fut préservée pour cent ans encore. Canberra, quant à elle, ne fit pas d'ombre aux deux belles et concourt au palmarès des capitales les plus ennuyeuses de la planète. Sylvain nous envoie une carte postale de Melbourne (message n°7) et de Sydney (message n° 8). Il passe les deux villes au banc d’essai. Enfin, il assiste à un concert à Melbourne, déambule sur la baie de Sydney et en tire des « théorie Shadock ». Encore une exclusivité du site www.capvers.org Melbourne est la ville australienne que je connais le mieux. Mon frangin et sa petite famille y habitent. J’y suis donc souvent de passage les week-ends. Il y a trop à dire sur cette ville qui recueille des louages de tous : ses habitants, mais aussi les Australiens que j’ai rencontrés et qui n’y résident pas. Je vais me contenter de vous raconter ma soirée d’hier soir. Elle donne un aperçu de l’esprit de la ville et de son histoire. Chaque été depuis 1930 – oui, 1930 ! – l’orchestre philharmonique de Melbourne donne des concerts gratuits – gratuits, oui –, dans le superbe parc botanique. Me voilà donc parti en vélo pour une soirée musicale russe. Je suis tout surpris de voir des files des piétons converger vers le parc, avec couverture de pique-nique, petits sacs à dos, bouteilles... De vraies colonnes de fourmis travailleuses. Le site est à la mesure de la foule : un amphithéâtre de pelouse suffisamment vaste pour accueillir deux bons milliers de spectateurs, avec l’orchestre niché sous un toit argenté ressemblant à une tente bédouine. Enchanteur ! Pourquoi 1930 et gratuit ? Tout cela grâce à un émigré russe du début XX : Sydney Meir. Il arrive à Melbourne en plein boom économique lié à la ruée vers l’or. C’est de cette époque que naît l’urbanisme du centre de Melbourne, très similaire à celui de Manhattan : une grille, des bâtiments à l’architecture audacieuse et aux décors somptueux destinés à montrer les réussites économiques de leurs propriétaires. On trouve d’ailleurs des immeubles quasi-jumeaux de ceux de New York, dessinés par les mêmes architectes. - Puis-je m’asseoir auprès de vous ? Pas facile de trouver un petit carré de pelouse libre pour m’accueillir. - Mais bien sûr. Sidney Meir bâtit sa fortune sur le commerce. Les magasins Meir (type « grands magasins parisiens ») continuent à prospérer en Australie. Il décide de financer des concerts gratuits ouverts à tous. A sa mort, il lègue des parts de sa société à une fondation chargée de poursuivre le financement de ces concerts à perpétuité. On a là le mythe du pionner dans le nouvel eldorado. Mythe réalisé. On a aussi l’utopie d’un humaniste, d’un philanthrope. Utopie réalisée. Car il ne s’agit pas d’une opération de com’ comnme savent les faire les entreprises actuelles (se racheter une vertu à moindre frais : Total cherchant à financer la Fédération Française de Voile). La conversation s’engage avec mes voisins. Natacha et Louise. Natacha est d’origine russe, née en Autriche à la fin de la guerre. Ses parents l’ont emmenée dans leurs bagages pour le grand voyage vers l’Australie. Cette histoire est presque celle de tous les Australiens (hormis la minorité aborigène : 400 000 à l’arrivée des Européens selon les estimations). Avec une histoire européenne de 250 ans seulement, chacun à une ascendance née à l’étranger : parents ou grands-parents dans la majorité des cas et un quart des habitants de l’état de Victoria est né à l’étranger. La musique de ce soir me touche. Tout particulièrement le concerto de Rachmaninov. Sidney Meir tient son pari d’éclairer les masses laborieuses. Quarante ans après sa mort, il convainc un quasi-inculte de la musique classique d’explorer ce continent. En rentrant, j’écouterai plus souvent sur France-Musique. Promis, Sidney ! Louise et Natacha me gavent de gâteaux délicieux, notamment un soufflé aux poireaux et olives à se rouler par terre. Les maris ne sont pas en reste : thé, café ? Je suis toujours surpris de la simplicité de contact avec les Australiens, de leur amicalité. Les habitants de Melbourne se disent heureux de vivre dans leur ville, réputée pour être la capitale culturelle du pays, mais aussi une ville favorisant les activités de plein-air grâce à son site naturel exceptionnel (baie, espaces verts, rivière) et surtout une ville où les émigrants, Italiens notamment, ont importé un art certain de vivre : urbanisme (en dehors du centre « à la new-yorkaise ») qui privilégie les places, les terrasses pour prendre l’apéro ou siroter un espresso. Ce bonheur, cette fierté, les habitants la revendiquent. Ils semblent les porter en eux. Il y a quelques jours je me suis perdu en vélo. Je demande mon chemin à un autre cycliste...tout aussi perdu. Mais il me dit : N’hésitez pas à demander à n’importe qui. Les gens sont amicaux et prêts à vous aider, ici. » Vous vous engageriez, vous, de la même manière pour vos concitoyens, auprès d’un touriste japonais perdu à Laval ? Sylvain

Vol 747 pour Sydney

sydney

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Sydney est connu, reconnu par sa baie, avec son opéra en forme de coquillage et son pont métallique.
Ce n’est pas seulement une vision de touriste. L’épicentre de la ville est bien là.
Des habitants m’ont parlé de la baie, de leur attirance pour elle. Ils aiment s’y promener le soir, boire un verre, observer les paquebots de croisières et les ferries.

J’aime les villes construites autour des baies : New-York, Hongkong, Sydney maintenant.
C’est la baie qui dessine la ville, la définit.

Historiquement d’abord, ses rivages ont accueilli les premiers immigrants. On y trouve donc le quartier historique, ses plus beaux bâtiments.

L’eau dans ces trois villes n’a pas qu’une fonction décorative. De très nombreux habitants en font usage pour se rendre au travail par les nombreux ferries.

Et puis la baie a peut-être une vertu majeure : celle d’offrir une évasion, une ligne de fuite imaginaire aux habitants de ces mégalopoles.
J’observe les cadres tout juste sortis du boulot qui sirotent un vin rosé (pour les unes) ou une bière (pour les autres) et je crois déceler une quiétude dans leur regard, gagnée par la présence bienfaisante de la mer venue s’immiscer dans l’intimité du continent.
Se rêvent-ils voyageurs, peintres, marins ?

D’ailleurs, n’est-ce pas cette porte ouverte qui permet à chacun de travailler avec tant d’ardeur ? Les habitants de New-York comme ceux de Hongkong sont des bourreaux de travail. Les Australiens pire encore. Ils détiennent la palme mondiale de la durée annuelle de travail.
Voici donc une nouvelle théorie shadock : si vous pouvez vous rêver marin, vous accepterez de vous faire galérien.
Dit autrement : Méfiez-vous des baies, ça pousse à travailler !

Donc, Sydney vaut pour sa baie. Mais pas seulement.

Je l’ai parcourue à l’aide de cartes thématiques qui pointent des bâtiments, détaillent son intérêt architectural.
Les thèmes étaient : la vie portuaire, le temps des colonies (anglaises, c’est à dire avant 1901 quand l’Australie est née de la fédérations de ces colonies), les communautés (chinoise surtout), le quartier Glebe.
Je pris donc mon courage à deux pieds, mes cartes à deux mains, et en route !

L’urbanisme et les bâtiments racontent la ville, son histoire. L’expansion de Sydney a rejeté l’activité économique vers la périphérie, hormis le tertiaire. D’autres activités ont totalement disparu.
Ces premiers bâtiments – entrepôts pharaoniques pour stocker la laine, quais jadis ultra-modernes connectés au train … – sont devenus hors d’usage ; de leur usage initial.
Soit ils sont reconvertis (en logements le plus souvent), soit ils font l’objet de vifs débats qui décident de leur sort : préservation pour leur intérêt historique ou démolition pour laisser place à la ville nouvelle.

J’ai donc crapahuté, inlassablement, Et dans cette solitude du visiteur dans une ville, accentuée par la fébrile occupation de tous : chacun fait quelque chose ou se rend quelque part, rejoint quelqu’un. Agenda et téléphone pour eux, le temps devant soi pour soi, rien de plus.

J’ai aimé Sydney et quatre jours n’ont pas suffit à étancher ma curiosité.

Quelques bémols cependant. La ville souffre d’un urbanisme trop favorable aux bagnoles : larges avenues, bruits, attendre des plombes que le feu des piétons passe au vert.
Heureusement qu’il y a de grands poumons verts – les parcs – et le poumon bleu de l’eau.
Il y a aussi une prédominance de buildings du courant architectural dit « international », les parallélépipèdes des années 90. Une horreur !

J’ai beaucoup aimé la foule australienne des villes, une fois encore : cosmopolite, jeune, allant au travail (Le petit matin est la meilleure période pour l’observer, sirotant mon café) avec la foi touchante des nouveaux convertis. On porte facilement des chaussettes, maillots de bain arborant le drapeau national. De tous jeunes immigrants peut-être, qui ont traversé les océans pour embrasser un nouveau pays et avec lui une nouvelle vie.

J’ai choisi les quais et l’opéra pour mes derniers moments dans la ville. Je prends dans quelques heures un bus de nuit pour Melbourne (12 h. de trajet). J’y écris ces lignes dans la lumière douce et chaude de la fin d’après-midi.

Sydney, vendredi 18 février 2005

Au-revoir Australie, terre d’immigration

australie plage

australie plage

Je termine mon voyage par une visite au musée de l’immigration à Melbourne. Surprenant pour un Français de trouver un musée célébrant l’immigration. Pas pour un Australien, car l’histoire de l’Australie contemporaine n’a que 250 ans. Et c’est celle de l’immigration majoritairement européenne pendant 200 ans, puis asiatique. Rien d’étonnant donc.

Le visiteur traverse « le jardin du souvenir » avant d’entrer dans le musée. Une installation qui célèbre les premiers habitants du pays, les différents peuples aborigènes , dont le nombre est estimé à 300 à 400 000 à l’arrivée des Européens.

La muséographie a fait le choix de mettre en valeur des trajectoires individuelles très diverses. Car l’Australie est faite de cela. D’individus qui ont décidé, dans la solitude et la difficulté de ce choix, de lier leur destin à un pays et de le construire en même temps.
Chacun de ces hommes s’est « fait » à travers l’Australie (« self made-man ») et l’Australie s’est « faite » de ces hommes.

Ce sentiment de « communion de destin » entre un individu et un pays à totalement disparu dans notre Europe en cette période désenchantée, me semble-t-il.

Beaucoup plus surprenant : l’histoire « qui fait mal » et l’histoire qui fait débat ont droit d’entrée aux musées australiens.

J’avais été surpris (lors de mon précédent séjour, il y a deux ans) par la mise en valeur de la culture aborigène et de son ethnocide au musée national de Canberra.

Au musée de l’immigration, l’exposition ne fait pas l’impasse sur les vagues successives de racisme : anti-chinois d’abord, puis antisémite, anti-asiatique ou anti-arabe maintenant. Car l’Australie oscille depuis sa création entre des phases d’accueil à bras ouverts et de fermeture à bras fermés.

Et cette critique concerne aussi l’histoire la plus récente : Le panneau qui relate la dernière décennie affiche deux photos qui me surprennent. Sur l’une, on voit ce paquebot chargé d’Afghans en quête de la terre promise refoulé en mer, alors que ses passagers mourraient de faim et de soif (de l’eau avait été larguée d’hélicoptères). Sur l’autre, le terrible centre de détention en plein désert dénoncé actuellement avec virulence par toutes les organisations humanitaires.
Il s’agit bien là d’une histoire avec un point de vue clairement orienté, qui de toute évidence n’est pas celui du gouvernement actuel, ultra-conservateur, voire réactionnaire. Ce gouvernement a initié un nouveau cycle de fermeture vis à vis de l’immigration, avec une administration aveugle aux situations particulières les plus difficiles.

Vous imaginez, vous, une expo en France dans un grand musée, évoquant le centre de détention de la police des frontières de l’aéroport de Roissy ? Moi pas.

Le musée prend aussi le risque de ne pas présenter que des trajectoires édifiantes, des « success stories ».
Un réfugié politique chilien se dit hanté par ses cauchemars de torture et incapable de maîtriser l’anglais après 40 ans dans le pays, ce qui le laisse dans une précarité économique permanente.
Un jeune Tchadien d’origine dit son envie d’étudier la médecine pour plus tard … retourner dans son pays pour y exercer son métier. Un choix qui peut prêter à critiques de la part du contribuable australien.

Plus anecdotique. L’intérieur de différents bateaux est reconstitué pour imaginer les trois à deux mois de traversée (voiliers à voile traditionnels puis clippers, bateau à vapeur et enfin diesel.) Il est écrit : « Sentez-vous libres de vous allonger sur les couchettes, porter les habits, lire les lettres. Ce sont des reproductions. »
Au musée, on m’a toujours dit : « Il faut toucher avec les yeux. »

Cette immigration, on la touche du doigt (avec les yeux) dans la rue.
S’asseoir à une terrasse de café et contempler la foule australienne me ravit et me touche.

Sa diversité culturelle et humaine me ravit : Indiens, Chinois, Indonésiens, Africains, Européens… Chacun a sa manière de marcher, porter sa tête, balancer les bras, lier les jambes au ventre… Une manière personnelle mais culturelle aussi. Chacun sa manière de s’habiller aussi (sauf les mecs du tertiaire contraints au costume de pingouins), de penser, au foot européen pour les uns, au foot australien (« footy ») pour les autres, à chacun ses Dieux…

Sa cohésion me touche. Car des gens si différents ont décidé de se réunir autour d’une idée : celle d’un pays.
L’Australie est perçue comme un eldorado, une terre où on peut s’en sortir en lui donnant un tribut : le travail. L’immigration est donc bien au départ un projet individuel.
Mais pas seulement. Cette ambition individuelle se double d’une fierté à appartenir à une communauté si diverse. Emma, ma nièce de 6 ans fait la liste des enfants de sa classe qui parlent deux langues à la maison, comme elle. Dans la boite de mon frangin, sept personnes sur dix (dont lui), ont obtenu la nationalité australienne. On construit ensemble ce pays. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en espérant en bénéficier.

Ce multiculturalisme m’enchante.
Cette foule n’est pas une troupe de petits soldats, de clones obéissant à une idée totalitaire. Ce sont des individus, mus par des désirs d’une vie meilleure (recherche de liberté politique ou syndicale, de survie tout simplement, de réussite économique …) mais liés les uns aux autres par une idée commune. Si chacun trace son chemin, le cap est fixé par une idée qui transcende les différences : ce pays te donne une chance et il sera aussi ce que tu en feras. (Une idée aux accents libéraux, c’est vrai. Rendue possible peut-être parce qu’il y a de la richesse par le travail à créer dans ce nouveau pays alors qu’en France, il n’y a plus de travail à partager, mais seulement de la richesse par le capital – et quelle richesse ! – à partager. Et cette idée s’accompagne d’un système de protection sociale véritablement déficient, selon les standards européens en tous cas). (Je ne suis pas économiste et cette parenthèse réclame une lecture critique, voir sceptique de votre part).

Serais-je en train d’idéaliser l’Australie ? Peut-être.

Pour illustrer, de manière anecdotique cela, je suis surpris de voir des noirs ou des asiatiques dans les publicités . Pas seulement pour représenter le client, mais le vendeur, donc le porte-parole de la marque.
Par contre, je n’ai jamais vu d’aborigènes dans les publicités. Ils sont absents de ce rêve d’Australie, dont ils ont été les perdants. Ils vivent surtout dans de petites communautés dans le « bush », en marge de la société australienne majoritairement urbaine (85 % des 20 millions d’Australiens vivent dans les cités côtières : Brisbane, Melbourne, Sydney surtout), salariée et consommatrice, bref modelée par le modèle occidental.

Hélas, cette diversité de la population ne se retrouve pas dans ses élus politiques , majoritairement européens d’origine, par un phénomène de génération : ils sont plus âgés que la moyenne nationale même s’ils sont plus jeunes qu’en France (pas difficile, vous me direz) et plus divers dans leur origine (encore moins !).

Et ce choix de société multiculturelle fait vaciller ma défense habituelle du système d’intégration à la française : « le formatage à la gauloise ».
D’une part parce que notre système montre ses limites. Si l’ascenseur social fonctionne bien pour une famille d’origine ouvrière et gauloise comme la mienne, on ne peut pas dire la même chose pour les « deuxièmes générations ».
Et puis le multiculturalisme conduit-il nécessairement à un communautarisme ? Et ce communautarisme est-il nécessairement fermé, étanche à une communauté plus large du pays ?

Ces questions de modèles de société ont agité également l’Australie dans les années 80, soulevées par un historien qui déclarait que l’Australie devait veiller à rester majoritairement de culture anglo-saxonne si elle voulait garder une identité et une cohésion sociale.

Je reste cependant bien Français – laïque (la vie spirituelle doit rester une affaire privée), tendance « laïquard » (le développement d’un pays se mesure à la diminution de ses croyants)– face à la liberté exorbitante dont jouissent les religions et les sectes (leur « start-up »). Chacun peut monter un stand dans la rue et prêcher pour des sectes clairement identifiées chez nous comme dangereuses.

Je crois que plus encore que lors de mon précédent séjour, je vais avoir du mal à retrouver ma France sclérosée, grisonnante ( les « papys boomés » aux commandes), pétrie de certitudes, sans projet, angoissée (sécu, retraite…) et n’ayant d’autres destins à proposer qu’une Europe économique, la défense des acquis, le principe de précaution…

Australie, il ne te resterait pas une petite place ?

Sylvain, Melbourne, le 23 février 2005 (33 °C)

Post-scriptum d’Australie : le message (de trop) qui explique pourquoi trop de messages !

carte australie sylvain

carte australie sylvain

Pourquoi avoir écrit des messages pour Cap vers, – tant et plus et trop –, alors que j’ai toujours prôné l’inverse ?

J’aime en effet que le voyage soit l’occasion d’un détachement, d’une déconnexion. Au sens figuré du terme, en espérant me débarrasser du mouvement brownien des pensées parasites (« J’ai éteint le gaz ? »), des fausses préoccupations (« Nantes – son club de foot ndlr – à fait combien ? ») ou encore mieux des pensées convenues (« Nantes a le plus beau jeu »).
Pour atteindre un autre point de vue, mais surtout pour jouir du bonheur profond d’être un voyageur errant (assurance rapatriement comprise dans la carte bleue), une éponge qui capte la buée du monde (ça ne veut rien dire, mais c’est très joli : la buée des paroles, la rosée du désert précieuse aux aborigènes… Faites jouer votre imagination, merde !)

Or, le sens figuré requiert le sens propre : pas de connexion internet et le carnet de bord, n’a qu’une visée introspective ou de journal de bord.

Mais ce voyage n’était pas habituel. Car il conciliait la famille (mon frangin habite Melbourne avec sa compagne et leurs deux petits) et le voyage.
Or, les deux sont difficilement compatibles. Alors que l’essence de la famille est l’attachement (celui qu’on souhaite et … qu’on ne souhaite plus), le carburant du voyageur est le détachement. (ça nécessiterait des précisions, mais le percutant de la formule la clôt là).

En venant en Australie, je cherchais à cultiver l’attachement à ma famille, en veillant notamment à ne pas perdre contact avec les enfants de 1 et 6 ans. (J’ai ainsi veillé à passer le maximum de W.E. à Melbourne et donc à ne partir que pour 5 ou 10 jours.) J’ai été comblé.

En venant en Australie, je comptais aussi voyager. Pour moi, voyager, c’est découvrir (collectionner des cartes postales), mais surtout atteindre cet « état de voyage », si paisible, si plein, cet état de réconciliation avec soi-même, avec la nature, parfois ses « frères humains »(plus difficile).

Découvrir, je l’ai fait, mais « l’état de voyage », je ne l’ai pas atteint et je le savais avant même de partir : car le détachement par intermittence n’est pas possible !

Dans ces conditions, sachant que la déconnexion « mentale » n’était pas possible, mon grief contre la connexion à Internet tombait et c’est ainsi que j’ai envisagé de vous écrire. Quitte à rester connecté, à ne pas pouvoir débrancher la prise , autant en faire profiter les camarades restés au pays de la lumière grise.

Cela explique pourquoi pas pas de message (vous me suivez ?), mais cela n’explique pas pourquoi tant de messages – trop, selon certains – et pourquoi si longs – trop longs, selon les mêmes ?

Et d’une, je me suis senti une responsabilité (pas écrasante, rassurez-vous) d’administrateur à faire vivre le site.

Et de deux, je me suis pris au jeu. Voyager en solo est une activité surtout physique (crapahuter) et contemplative (laisser son esprit dériver au fil du paysage qui bouge). Ecrire (surtout pour les autres) requiert une attention plus grande qu’écrire son carnet de bord. L’exercice est difficile mais il me plait. C’est une activité cérébrale complémentaire des deux autres. Je l’apprécie en fin de journée. Elle repose les orteils tuméfiés et stimule un cerveau bercé par les endorphines de l’effort et par la rêverie. Et puis je ne dissocie pas totalement le fait de vivre un événement et de l’écrire.

Et de trois, j’ai délaissé mon carnet (lui réservant les pensées les plus intimes) et ces messages sont devenus mon carnet de voyage de substitution. Il m’est alors devenu difficile de n’écrire que partiellement sur mon périple. J’ai eu envie, besoin même, d’une totalité. Tout en étant conscient que trop de messages tue peut-être l’envie de lire les messages. Mais libre à vous de ne pas lire, n’est-ce pas ? Alors que moi, il me fallait bien les écrire. Ce qui ne fut pas toujours facile après une journée à aller et venir.

Mais j’ai toujours eu le souci de vous, lecteurs, croyez-moi. Alors, si ce carnet vous a plus ou moins plu, un petit mot de votre part me ferait plaisir, me disant les plus et les moins : rossignol.sylvain@wanadoo.fr

Goodbye mates !

Sylvain, Laval (-2°C), 26 février 2005