Alice Springs : le trou du…

alice spring

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J’aime les implantations humaines du bout du monde.
Quand la terre s’arrête au bord de l’eau, interdite. Quand elle semble plonger un orteil dans l’océan en se disant : non, décidément, pas possible d’aller plus loin.
Souvent un petit port, quelques bicoques, pas grand chose. Labuanbajo au bout de Florès (Indonésie), Ushuaia tel que je me l’imagine.
Elles m’émeuvent.

J’aime aussi les « centres du monde ».
Quand les chemins semblent converger vers un point qui se charge de l’énergie de l’espoir de ses immigrants.
La topographie a souvent décidé du lieu : un fleuve, une port abrité par une baie, un colline, des lieux de passage obligés pour les voyageurs. Ou de protection et d’abondance pour qui veut s’y installer.
New York, Jérusalem, Istanbul, Laval, Sydney.
Dans ces villes, semble parfois battre le pouls de la planète. Elles ont l’air de pouvoir se passer du reste du monde.
Ces villes me fascinent.

Et puis, il y a les trous du cul du monde. Des concentrations humaines qui échappent à la logique habituelle des déplacements et des implantations humaines.
Alice Springs est de ceux-là.

Les aborigènes , intéressés par les sources (« spings ») y sont implantés depuis des milliers d’années. Mais qu’ils aient été nomades (pour leur majorité), semi-nomades ou sédentaires, ils n’ont pas construit de ville. Leurs communautés étaient de toute façon trop restreintes.

C’est le télégraphe (« Le fil qui chante » dans Lucky-Luke.) qui donne naissance à Alice Springs en 1871. Il fallait relier le Nord du continent au sud à travers 3000 km de désert. La ville a été choisie pour sa position médiane et ses réserves en eau. Des convois de chameaux guidés par des Afghans approvisionneront les chantiers de la voie de chemin de fer ( train baptisé ´Le Ghan » en leur hommage ) et le télégraphe.
La ville ne comportait que quelques centaines d’habitants dans les années cinquante pour connaître ensuite un boom et atteindre 25000 habitants aujourd’hui.

Ces villes sont des trous du cul du monde (bien qu’il y ait beaucoup de soleil). Canberra, la capitale, en est un autre, bâtie à équidistance des deux capitales alors fédérales qu’étaient Sydney et Melbourne. Sa raison d’être, purement administrative, peut se passer d’un fleuve, d’une colline, d’un accès à la mer.

Ces villes m’indiffèrent.

Sylvain

Leçon numéro 2 : Ne mettez pas un groupe entre vous et le monde

photographe

photographe

<<<< un photographe stakhanoviste (l'homme assis) qui prend en photo le groupe (petite photo précédente, mais vous ne me reconnaîtrez pas : j'ai perdu quelques dizaines pixels pendant la rando) en rafale : une photo et un appareil par membre du groupe, soit 10 sons "bouic" numériques et un "creucreu" mécanique. Objet : deux étranges messages d’Australie sur notre site Il y eut les naufragés volontaires. Alain Bombard en fit l’expérience pour accroître les chances de survie des naufragés involontaires. Sylvain, dans son quatrième message, nous fait part de son expérience de prisonnier volontaire dans un mini-bus, rempli de djeunes pour un tour organisé de 3 jours, en route vers Uluru, le caillou rouge au centre de l’Australie. Mais pourquoi se confiner dans 4 mètres cubes au milieu d’un si grand espace ? Pourquoi s’agglutiner dans une région ou la densité humaine frise le zéro ? Oui, pourquoi ? Le but, toujours selon Sylvain, serait tout aussi louable et philanthropique que celui d’Alain Bombard : élaborer un manuel de survie au voyage en groupe . N’est-ce pas un prétexte fallacieux ? A vous d’en juger. Encore faut-il en sortir indemne , d’un tel voyage ! A-t-il survécu ? Réponse dans son cinquième message. 4) Leçon numéro 2 : Ne mettez pas un groupe entre vous et le monde Rappel : la leçon numéro 1 aurait pu s’intituler : NE METTEZ PAS L’IMPOSSIBLE (PHYSIQUEMENT) ENTRE VOUS ET LE MONDE (Ne partez pas faire de la randonnée dans le désert australien en saison sèche). Et ce, d’autant moins que la séquelle la plus grave est la perte significative de neurones. En effet, comment expliquer autrement que mardi matin, au lieu de me diriger vers la gare routière, j’ai choisi de monter dans le bus affrété par l’hôtel pour trimballer un groupe pendant trois jours ? Comment ? Je ne peux avancer que quelques raisons, toutes...mauvaises : - le tour me permettra d’atteindre King’s canyon, ce qu’aucun transport public ne permet, - Découvrir Uluru (le nom aborigène pour Ayers Rock, le gros monolithe rouge au milieu du désert) en voyageur indépendant, c’est se soumettre à ce qui ressemble a un racket. notamment pour couvrir les 20 km entre le village le plus proche et le rocher. Bien sûr, ces raisons ne sont pas suffisantes. Il ne faudrait pas prendre de décisions a 6h du mat, ni randonner dans le désert, on ne le dira jamais assez ! Bref, me voilà dans le bus depuis ce matin. Le vice-président de Cap vers en voyage presque organisé. Et oui ! Comme tout se sait dans le village planétaire, je préfère faire mon coming-out (aveu public) plutôt qu’être à la merci d’un outing (dénonciation publique). J’ai quelques dossiers noirs sur les administrateurs de Cap vers et je préfère livrer le mien pour ne pas donner prise au chantage. Mieux vaut la calomnie ! Le topo de bienvenue dans le mini-bus dit beaucoup : "Vous n’êtes que 11 au lieu de 21 habituellement. Alors je vous demande de faire du bruit pour 21. Nous avons une réputation à tenir. Et souvenez-vous : WE ARE HERE JUST TO HAVE FUN !” Analysons cette phrase : WE (nous) : ce gars parle a ma place, ARE (sommes) : et dit ce que je suis, HERE (ici) : et pas ailleurs, dans ce mini-bus, sans échappatoire, c’est bien le problème, JUST (seulement) : ce qui suit constituera l’exclusivité du programme, TO HAVE FUN (s’amuser) : ai, ai, ai !!! Et le garçon de joindre le geste à la parole : bonnet vert de Shrek sur la tête, zique a fond à s’en faire péter les tympans, il aggripe le volant. DU PAIN ET DES JEUX. C’est Juvénal, n’est-ce pas, qui déplorait la décadence de l'empire romain en voyant que César tenait son peuple par le pain et les jeux. A midi, sandwichs. Entre les sandwichs, we have fun. Et je comprends alors que pour nombre de jeunes voyageurs ( souvent anglo-saxons), le voyage n est qu’un produit de divertissement parmi d’autres proposés par une société occidentale du pain et du jeu. Que le voyage n’est pas une expérience de l’autre, l’habitant du pays visité. Qu’íl n’est pas non plus une expérience de soi-même, rencontrée au détour de la solitude, de l’adversité, d’un choc esthétique. Non, le voyage est au mieux un rite de passage et un brevet de débrouillardise que l’on peut afficher sur son C.V. Bref, un voyage qui « forme la jeunesse » , la renforce, mais en aucun cas qui la déforme, qui la « défait »pour reprendre le mot et l’idée de Nicolas Bouvier, l’écrivain voyageur. Et alors, qu’est ce que le monde pour ces voyageurs ? Un terrain de jeu et de spectacle. « La civilisation du spectacle » et du divertissement s’est acoquinée avec l’industrie du tourisme. Leur territoire est la planète. Revenons à notre mini-bus. Nous (je commence à raisonner collectif, c’est bien) venons de faire une petite marche dans King’s canyon. Pour faire spectacle, il faut mise en scène. La première montée est devenue « la montée des crises cardiaques » , plusieurs voyageurs ayant cassé leur toquante dans la fatale ascension. Le voyageur-touriste est flatté dans son ego. C’est lui, aussi, l’acteur du spectacle. Il est au cœur de l’événement. « Vous allez faire çaet ça sera extraordinaire » (dormir à la belle étoile dans le bush). Puis : « vous le faîtes et c’est extraordinaire !’’ . Enfin : « Vous l’avez fait. Voici le T-Shirt ». J’ai découvert aussi que le groupe avait son bruit. Un « bouic » , ces petits jingles des appareils photos numériques. Photos aussitôt expédiées par Internet aux amis. Le spectacle requiert des spectateurs. Autre découverte : le fil coupe le beurre et la préoccupation majeure du membre d’un groupe est de s’y intégrer. Pour ce faire, il est conseillé de tout mettre au pot commun, de partager ses émotions («It is beautiful »). Cet orage de grêle, sur Kings canyon, vécu seul, aurait pu être une rencontre avec les éléments. Il faut l’objet d’une partie de rigolade, entre nous. Écoutez un voyageur au retour d’un tour : il vous parlera principalement du guide et de ses compagnons. Et c’est inévitable. Rassurez-vous, je vous épargnerai le portrait de chacun (des chacuns sympathiques, ailleurs, au prime abord). Bon, tout ça est une suite de lieux communs, me direz-vous. Vous avez raison. Mais n’ayant jamais expérimenté le voyage organisé je n’étais pas certain que mon discours prônant le voyage indépendant n’était pas un habillage (en ma faveur) d’une éventuelle misanthropie. Mais non, il n’en est rien. me voilà rassuré. Il y a de bonnes raisons de préférer le voyage indépendant à l’organisé. Croyez-moi sur parole. Et prêcher pour le voyage indépendant n’est pas prêcher pour une chapelle contre les autres. Car le voyageur indépendant est claustrophobe et solitaire et préfère aller prendre l’air tout seul sur le parvis quand tout le monde se presse dans la chapelle. Fallait-il joindre un groupe pour s’en assurer ? Pas plus qu il n’était nécessaire d’aller dans le désert pour le découvrir hostile. Serais-je à côté de mes pompes lors de ce voyage ? Ma place ne serait-elle pas là en ce moment ? Bien la première fois que je me pose cette question en voyage. Pour ce qui me reste de séjour, je vais tâcher de trouver un juste milieu entre l’expérience de l’extrême de la rando et la régression infantile du groupe. Ce soir, nous rejoignons « le bivouac ». On va le faire, on l’aura fait. Demain, Uluru. Entre Uluru et moi, le groupe. Je vous enverrai d autres cartes postales plus visuelles cette fois (il y a en a tellement pour les yeux ici. C’est immense à vous agrandir votre champ de vision. Les camions à quatre remorques (« road trains »), les routes rectilignes interminables, le rouge sang de la terre. Ce paysage me fascine, m’émerveille, me comble). Ce message était plutôt une contribution au Centre mondial lavallois de recherche sur le tourisme. Un témoignage, plus qu’une réflexion. c’était surtout un moyen de supporter l’angoisse des premières heures de captivité. Mais là, ça va mieux. Ah, les pouvoirs de l’écriture. Et puis, il faut que je vous parle de Chris, notre guide, qui... En direct du mini-bus, mardi 1er février 2005, notre envoyé spécial, Sylvain Erratum : je crois avoir parle « d’invincibilité » a mon sujet. Second degré, bien sûr, confirmé par les faits. Post-scriptum : « le vélo pour les moins courageux » dans le dernier message était une blague boomerang. Certains ont entendu parlé de mon projet de vélo en Syrie, puis en Tunisie qui se termine (provisoirement, provisoirement !) dans ce mini-bus.

Uluru (Ayers Rocks), le rocher magique

ayers rocks

ayers rocks

Je vous ai laissé, lors de mon dernier message dans un mini-bus infernal en direction du rocher rouge : Uluru (prononcer « Oulourrou » avec un r long, en langue Anangus, une des nombreuses langues aborigènes), plus connu sous son nom de baptême britannique : Ayers Rocks.

Je laisse pour le moment le mini-bus. J’y reviendrai plus tard. Car Uluru m’a jeté un sort. Il a embrassé mon champ de vision, s’est emparé de moi, m’a – allons-y – possédé.

D’abord, il y a l’étrangeté du lieu, cette masse surgie de la platitude. Il y a aussi la perfection de la chose. Ce monolithe (une seule pierre) est lisse comme un galet. Pas d’éboulement, pas de pierrier qui ferait jointure avec le sol. Aucun signe avant-coureur de ce caillou. Le rocher n’est pas de ce lieu, n’est pas de ce monde. Posé la comme une météorite.
Mais plus que sa masse, ce rocher a un magnétisme extraordinaire. Sa couleur, rouge et changeante au fil de la journée semble tout attirer à lui. Il aimante le regard, semble être le centre de gravité, le point central de l’univers.

Ensuite, le lieu est chargé des traces de la naissance du monde. Rien de moins.

Pour le comprendre, il faut s’attarder un peu sur les croyances aborigènes. La Tjukurpa que les occidentaux ont traduit maladroitement « le rêve » ou « le temps des rêves ».

Tjukurpa explique la création du monde. Autrefois, la terre n’avait ni formes, ni caractéristiques. Des êtres ancestraux sont alors apparus de ce vide et tout en voyageant, ont créé toutes les espèces vivantes et les caractéristiques du paysage désertique, tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Le rocher porte des marques des combats de ces êtres ancestraux. Ici a eu lieu une bataille entre un être ancestral figuré par un kangourou et un émeu. La cicatrice sur le rocher est la marque du javelot lancé par le kangourou. La fissure sur l’autre est la réplique de l’émeu.
Ansi, le tjukurpa donne-t-il une explication a la naissance du monde a travers ces histoires extraordinaires et qui ont marqué le paysage.

Mais la tjukurpa est plus que ça. Elle est la base de la culture aborigène et fournit les règles du comportement et de la façon de vivre ensemble. C’est une loi qui dicte la manière de prendre soin les uns des autres et de la terre.
Il représente les liens entres les personnes, les plantes, les animaux, les caractéristiques physiques de la terre. Tjukurpa explique comment ces relations sont nées, ce qu’elles veulent dire et comment elles doivent être maintenues.

Uluru est un lieu sacré lié à d’autres lieux sacrés par des iwara (pistes) faites par beaucoup d’êtres ancestraux (ceux qui ont créé le monde) pendant leurs voyages.
Certaines zones autour du rocher sont interdites aux non-initiés car elles sont associées à des informations et des activités rituelles dont la connaissance est réservée exclusivement aux initiés. Il est interdit de photographier ces lieux.
Lors de notre visite, des enfants aborigènes chahutaient dans une mare interdite a la baignade car sacrée. Des enfants venus de la ville, coupés de leurs racines, selon les Rangers arrivés sur place. Les enfants furent illico expulsés du parc national.
Les aborigènes ne souhaitent pas que les touristes grimpent sur le rocher. Selon leurs croyances, on doit mourir sur le lieu de sa naissance, sinon l’âme est condamnée à errer. Les aborigènes ne veulent pas des âmes errantes des touristes morts de crise cardiaque dans la montée (une quarantaine). « Rapportez vos détritus à la maison » est écrit sur de nombreux panneaux.

La gestion du parc – son aspect pédagogique à travers un musée, sa connaissance scientifique (faune, flore, géologie), le recensement des croyances des aborigènes et de leur adaptation a ce milieu hostile – fait l’objet d’ une collaboration entre les parcs nationaux et les autorités aborigènes. Cette collaboration, jugée exceptionnelle par les deux parties fait suite à une expropriation pure et simple d’Uluru par le gouvernement à travers les parcs nationaux. Le compromis actuel est le résultat d’une longue lutte politique des aborigènes pour la reconnaissance de leurs droits (notamment le respect de leurs lieux sacrés avant tout projet de construction).

Ainsi, Uluru pourrait n’être qu’une merveille naturelle. Cela serait déjà fantastique.
Mais il est beaucoup plus. Il est une partie de la tjukurpa et une initiation, pour nous occidentaux, au monde extraordinairement riche des aborigènes.
Uluru est une porte d’entrée sur ce monde magique.

« Le touriste arrive ici, caméra en main et prend des photos de tout ce qui l’entoure. Qu’est ce qu’il obtient ? Une autre photo qu’il ramène chez lui et qui garde une partie d’Uluru. Il devrait se servir d’un autre objectif : voir droit a l’intérieur : il ne verrait plus le gros rocher alors. Il verrait que Kuniya vit à l’intérieur comme autrefois. Peut-être qu’alors il jetterait sa caméra. »
(Tjamiwa, tiré du prospectus donné a l’entrée du parc).

Sylvain

Post-scriptum :
Revenons au groupe. J’ai placé ce petit chapitre en PS pour ne pas faire de l’ombre au beau rocher avec des pécadilles.
Ce message aurait pu aussi s’intituler : LEÇON NUMERO 3 : NE METTEZ PAS DES PREJUGES ENTRE VOUS ET LE MONDE !
Car vous l’avez compris, mes premières impressions ont été heureusement démenties par l’expérience. Non, le groupe ne s’est pas interposé entre moi et Uluru. Car Uluru est trop grand, trop fort.
La suite du périple fut nettement moins catastrophique que je le craignais. Les quelques avantages dsu groupe sont maigres : atteindre des endroits difficiles atteignables autrement (sauf en vélo, oui, Jean-Pierre), passer du bon temps (to have fun), découvrir (mais trop superficiellement) d’autres voyageurs.
Les inconvénients que j’avancais se sont confirmés, fondamentaux. Les choses se sont bien passées car j’ai réussi a m’intégrer au groupe. Mais est-ce la finalité d’un voyage : se mettre en cercle autour du feu de camp dans la nuit du bush et regarder vers l’intérieur, « s’habiller d’un groupe » ? Certainement pas. Aller vers le dénuement, au contraire.
Ce n’est pas une règle, ni une leçon. Une conception du voyage, plus simplement.

PS : je pars en vélo pour la semaine. Le prochain message sera moins connaissance du monde, promis. Plus physique.

Un petit vélo en Australie (et dans la tête)

vélo en australie

vélo en australie

<<< L'échidné (panneau du bas), à ne pas mettre sous toutes les roues. (petite photo précédente : les 12 apôtres) Sylvain s’en va faire une petite randonnée cyclotouristique de quatre jours le long de l’océan arctique et son récit prend des allures d’épopée. Ainsi, vous rencontrerez les aborigènes, un bluesman blanc, le vent contraire, l’Alpes d’Huez (?), le vent (toujours) contraire, le fantôme de naufragés, la baleine Right... Mieux (ou pire) encore : ébloui par le vélo, il n’atteint pas la Vérité vraie, mais il accède à quelques vérités partielles mais absolues, du type : « le vélo évite de descendre de voiture. » Pour connaître les autres messages encycliques de notre pape du dérailleur (pléonasme), lisez le message ci-dessous. Certains m’ont beaucoup entendu parlé de vélo. Peu m’ont vu pédaler. D’aucuns prétendent même que j’aurais parlé d’un voyage en Syrie, voire en Iran. Des mauvaises langues. Foin des sarcasmes (et de la limonade) : il me fallait « donner une réponse sur le terrain » comme le diraient les footeux qui ont le sens de la formule. L’idée est la suivante : pédaler sur la moitié de la « Great Ocean Road », la « grandiose route de l’océan », qui longe sur 500 km une falaise de calcaire sculptée par l’érosion marine et éolienne. Du grand spectacle. Pourquoi la moitié seulement ? Disons que la douloureuse expérience de la rando en plein cagnard (cf message n°2) m’a invité à plus d’humilité. 240 bornes pour moi, donc. Une distance que Yolaine, Jean-Pierre et les enfants abattent entre la poire et le fromage. Mais moi, je débute. Jour J 0 : la préparation « Ne prends rien et ensuite, retires-en en la moitié. » C’est sur ces bonnes intentions que je prépare mon paquetage sur roues. Sauf que je suis dépourvu du gêne du rangement. Ma technique est celle du « bourre dedans » ou « quand y’a plus de place, y’en a encore. Suffit de bourrer dedans. » Cette technique a ses limites, dépassées heureusement par une autre technique : celle de l’excroissance. Suffit de rajouter un bagage rattaché par une sangle. Et c’est comme ça qu’on se retrouve avec un vélo typiquement français – dixit JP et Y encore – aux antipodes des vélos germains rangés comme des services de table. Me voilà paré pour l’aventure. Jour J 1 : A jamais recommencé Le train nous dépose – mon bicloune, le matos camping et moi – dans une petite gare à 50 bornes de l’océan ; avec entre lui (l’océan) et nous (nous), une belle colline à franchir. Mais ça, c’est pour demain. Il est 15 h, je me barbouille de crème solaire (plus je mets de crème solaire, moins je consomme de chocolat, étonnant, non ?) et débute mes 25 km de la journée. Une entame amicale dont Jean-Pierre, le Maître, ne ferait qu’une bouchée entre la poi- et le –re. Sauf qu’il y a le vent. Et le vent est l’ennemi du cycliste. Le vent, c’est la côte, sans la promesse de la descente. Petit plateau, moyen pignon, grand pignon. Merde ! Je suis déjà sur le plus petit développement. Et ce n’est qu’un faux plat montant. Ça ne s’annonce pas facile, facile ! Le paysage n’est pas extraordinaire. Une forêt dense de résineux (non natifs), avec des chemins de terre qui débouchent sur ma route et sont couronnés de boites aux lettres folkloriques : pot de lait en métal suspendu à une potence, cubis de plastique fichés sur un poteau, poubelle à roulettes (type lavallois) vissée au mur. « Le vent à jamais recommencé » pour plagier la citation sur la mer. Vous connaissez Sisyphe , condamné à pousser la pierre sur la colline et qui redégringole en bas, et Sisyphe de pousser encore. Le vent, c’est pareil. Sauf que pousser une pierre d’un vélo, c’est encore plus difficile ! Et le faux plat montant à jamais recommencé, aussi. Pause. Fruits secs, J’enfourche de nouveau la petite reine, un virage et ... me voilà arrivé. Gag ! Pas de panneaux kilométriques sur la route et je me suis refusé à m’équiper d’un compteur pour ne pas sombrer dans la kilométromania comme lors de la rando. Le patron du camping est très chaleureux et direct, comme savent l’être la majorité des Australiens. « - The camping is all yours’ (tout à vous). D’où venez-vous ? » - de Colac. - ALL DOWN ILL !!!! » ( QUE DE LA DESCENTE !!!!) Jour J 2 : Petit développement, grand bonheur Beurre de cacahuètes à la tartine. Petit-dej roboratif pour vaincre l’inquiétude et doper l’excitation de cette belle montée à venir au milieu d’une forêt labellisée parc d’état, c’est à dire fédéral (et non national). Pas de zeff, temps gris, le trafic s’est éclairci. Idéal pour rouler. Seuls des camions américains (Mac, Kenworth) me donnent des claques de vent, leurs deux remorques chargées d’énormes troncs d’arbres. Ils me doublent en remontant à vide, la deuxième remorque chevauchant la première. La forêt, à vue d’œil, semble prise de frénésie de coupe et de reboisement. Seules les parcelles en cours d’abattage sont nues. Les autres sont couvertes de jeunes arbres. Les slogans sur les panneaux des compagnies forestières le clament : « le bois, une énergie renouvelable. » Encore faut-il replanter. En 1901, la forêt couvrait 10% du territoire et aujourd'hui 5% seulement. Parions que comme en occident, l’Australie préserve maintenant au mieux ses forêts tout en fermant les yeux sur l’importation illégale de bois (du Brésil et Indonésie, notamment). Je passe même devant un bureau du « Ministère de l’environnement et du développement durable. ». Au moins, ils sont sur le terrain ! La montée se passe très bien. Je forme mon « groupe étau » à moi tout seul, comme au tour de France (parce que je m’y crois, bien sûr, au Tour) : je monte à mon rythme, juste pour être dans les temps (fixés par moi-même !) et éviter la disqualification. Je peux donc en profiter pour admirer la flore : fougères géantes (3 mètres), eucalyptus (parmi la centaine d’espèces existantes). Et ça monte bien. Car j’apprends aussi que l’intérêt du paysage constitue aussi un moteur du cycliste : le cycliste pédale avec les yeux. ça y est, j’y suis, après 2h45 de montée. Je ne m’imaginais pas l’Alpes d’Huez comme ça, mais bon... Je prends un kawa et remonte vite fait sur mon fidèle destrier, Rossinante car au loin, on voit la mer. Nous sommes à 600 m d’altitude et la mer est au niveau de la mer. Une belle descente en perspective. je mors le vent en représailles pour hier. Deux cyclotouristes montent et me croisent. Ils me saluent confraternellement de la main. D’habitude, je suis en transport local quand je les croise et je me dis, à moi-même : petit joueur. Là, nous jouons dans la même cour. Chacun la sienne, car le cycliste est individualiste, mais elles ont la même grandeur, la même beauté. Nous nous en félicitons, nous savons que l’autre sait. Ce secret partagé, nous le signons d’un geste amical de la main. Ce petit geste m’emplit de joie intérieure. Ajoutée à la griserie de la vitesse, j’exulte. J’arrive à Princetown (en toute modestie !), le terme de mon étape de la journée, dans ce hameau endormi, juché sur une rive surélevée d’un fleuve paresseux qui serpente comme un gros serpent, creuse la dune au loin et plonge dans l’océan dessiné par un trait bleu dans l’échancrure jaune du sable. Il est 14 h. C’est bien joli, mais à l’arrêt, le vélo, ça n’avance pas ! C’est mon cerveau reptilien qui le dit. Hypnotisé par le paysage en mouvement, bercé par les endorphines de l’effort, il réclame son dû : des kilomètres. J’irai donc plus loin. Le paysage a radicalement changé depuis le passage du col. A proximité de la mer, la végétation est rase, adaptée aux vents forts, au sable et au sel. Le vent s’est levé. Stoïque, je pousse ma pierre sur la colline. La côte est réputée pour l’incroyable découpage de ses falaises calcaires, érodés par les vagues et le vent. Les « pitons » isolés dans la mer sont d’anciennes falaises creusées sur leurs deux flancs par la mer jusqu’à ce que le cordon rattaché au continent s’effondre. Douze d’entre eux constituent «les douze apôtres », la troisième « carte postale » australienne après l’opéra de Sydney et Uluru. Plus loin, des arches, des grottes, baptisées à l’anglaise. « London bridge » par exemple. Nommer le pays, n’est-ce pas se l’approprier ? Dans le cas présent nier l’antériorité du continent sur sa découverte européenne et ainsi désapproprier les aborigènes de leur territoire originel ? Certainement. Cette bataille est symbolique et de grande importance. La lutte constante des aborigènes pour renommer Uluru de son nom originel le montre. Les panneaux routiers, aujourd’hui indiquent Uluru avec entre parenthèses Ayers Rock. Un camping-car me double. Bras féminin qui en sort et me salue. Notre chassé-croisé durera toute la journée. Même contre le vent, le vélo m’émerveille. Habitué de la course à pied, je me grise du même effort physique, mais cette fois-ci récompensé au centuple par cette merveilleuse mécanique : cadre, roues, chaîne, dérailleur. N’est-ce pas le seul sport où l’unique énergie est musculaire ( sachant que le vent dans le dos n’existe pas ; dans ce cas, on a la frite) mais décuplée ? Bref, je me grise de mes bottes de sept lieux avec mon VTC hyper léger sur un bitume correct. Le VTT dans la boue mayennaise ne m’y a pas habitué. J’arrive peu avant la nuit à Port Campell, le terme de mon étape d’un peu plus de 80 bornes. Ce port fit jadis sa fortune sur la chasse de la baleine « Right » baptisée ainsi parce que c’était la « bonne » baleine à viser : lente, flottante une fois morte et riche en huile. En une vingtaine d’années (1920-40), le cheptel a été décimé, mettant fin à l’industrie baleinière. Il resterait 1 100 baleines Right, loin des 100 000 qui garantiraient sa survie. Jour J 3 : La pédagogie de l’horreur La côte est aussi nommée « la côte des naufrages ». Chaque crique ou presque a connu une histoire tragique. « Passer entre King island (nda : une île) et le continent, c’est passer dans le chat d’une aiguille. » disait-on. Après deux, voire trois mois de traversée depuis l’Angleterre, le brouillard, la tempête et les erreurs de navigation précipitaient les bateaux sur les récifs. Je débute la matinée par une promenade à pied, thématique sur ce sujet. Les Australiens sont friands de panneaux pédagogiques sur la faune, la flore, l’histoire européenne et aborigène. Je pars sous la pluie. Paysage identique à celui d’hier. La nature offrait une abondance de nourriture aux aborigènes : poissons de rivières, coquillages, baies, petits mammifères. Dans ces régions, ils furent massacrés en masse par les Européens. Puis la politique d’intégration consistant à déculturer les aborigènes (« No aborigenes : no aboroginal problems ») a terminé le travail. Le mouvement de renouveau de la culture aborigène est impuissant à ressusciter des pans entiers de connaissances à jamais disparus. Je ne vais pas vous persécuter avec mon plaidoyer pour le vélo mais il offre encore un autre avantage : le vélo vous évite de descendre de voiture. Sur les parkings, j’observe les passagers qui s’extirpent à contre cœur de leur cocon de métallique. Je vois même des touristes qui restent dans leur mini-bus, de crainte d’être mouillés. C’est ridicule, mais j’éprouve de la sympathie et de la gratitude pour ma machine, ce superbe deux roues au milieu des laiderons à quatre roues et plus. Le soir, j’arrive à Warrnambool (nom aborigène, préservé, celui-ci)avec un jour d’avance sur le planning prévu. Je retrouve mon « bras féminin au camping-car » épaté que deux roues en valent quatre. Au camping, je rencontre un routard avec une gueule, une guitare et une voix de bluesman. Un Calvin Russel australien. J’aimerais l’entendre entonner ce texte philosophico-cycliste « I’m standing at the cross road, emprisoned by theses doubts. One path leads to paradise, one path leads ton pain, but they all look the same... » Dernier jour J 4 : la boucle vous ramène au point de départ ! >
Une petite boucle de 60 bornes dans la campagne.
Comme je regrette d’avoir pris mon billet d’avion pour Sydney pour lundi. Je me suis laissé avoir par une promo sur le net. Décidément, j’en fais, quelques conneries lors de ce séjour. L’improvisation est l’essence du voyage, la contrainte est son poison.
Si je n’avais pas pris ce billet, je pourrais prolonger mon périple de quelques jours, plein nord, vers les montagnes de Grampions.
Cette fois-ci, j’ai eu les yeux plus petits que le ventre.

Ce mini coup d’essai cycliste a dépassé mes espérances.

Mon podium des modes de voyage s’établit ainsi, maintenant :
n 1 : en vélo,
n 2 : en transport local,
n 3 : rester chez soi.

Le croirez-vous ? C’est avec un pincement au cœur
que je mis le vélo dans le train. Et un petit coup au moral
que j’ai posé mes fesses sur un siège.

En direct du train Warrnambool-Melbourne, vendredi 11 février 2005, Sylvain