Au-revoir Australie, terre d’immigration

australie plage

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Je termine mon voyage par une visite au musée de l’immigration à Melbourne. Surprenant pour un Français de trouver un musée célébrant l’immigration. Pas pour un Australien, car l’histoire de l’Australie contemporaine n’a que 250 ans. Et c’est celle de l’immigration majoritairement européenne pendant 200 ans, puis asiatique. Rien d’étonnant donc.

Le visiteur traverse « le jardin du souvenir » avant d’entrer dans le musée. Une installation qui célèbre les premiers habitants du pays, les différents peuples aborigènes , dont le nombre est estimé à 300 à 400 000 à l’arrivée des Européens.

La muséographie a fait le choix de mettre en valeur des trajectoires individuelles très diverses. Car l’Australie est faite de cela. D’individus qui ont décidé, dans la solitude et la difficulté de ce choix, de lier leur destin à un pays et de le construire en même temps.
Chacun de ces hommes s’est « fait » à travers l’Australie (« self made-man ») et l’Australie s’est « faite » de ces hommes.

Ce sentiment de « communion de destin » entre un individu et un pays à totalement disparu dans notre Europe en cette période désenchantée, me semble-t-il.

Beaucoup plus surprenant : l’histoire « qui fait mal » et l’histoire qui fait débat ont droit d’entrée aux musées australiens.

J’avais été surpris (lors de mon précédent séjour, il y a deux ans) par la mise en valeur de la culture aborigène et de son ethnocide au musée national de Canberra.

Au musée de l’immigration, l’exposition ne fait pas l’impasse sur les vagues successives de racisme : anti-chinois d’abord, puis antisémite, anti-asiatique ou anti-arabe maintenant. Car l’Australie oscille depuis sa création entre des phases d’accueil à bras ouverts et de fermeture à bras fermés.

Et cette critique concerne aussi l’histoire la plus récente : Le panneau qui relate la dernière décennie affiche deux photos qui me surprennent. Sur l’une, on voit ce paquebot chargé d’Afghans en quête de la terre promise refoulé en mer, alors que ses passagers mourraient de faim et de soif (de l’eau avait été larguée d’hélicoptères). Sur l’autre, le terrible centre de détention en plein désert dénoncé actuellement avec virulence par toutes les organisations humanitaires.
Il s’agit bien là d’une histoire avec un point de vue clairement orienté, qui de toute évidence n’est pas celui du gouvernement actuel, ultra-conservateur, voire réactionnaire. Ce gouvernement a initié un nouveau cycle de fermeture vis à vis de l’immigration, avec une administration aveugle aux situations particulières les plus difficiles.

Vous imaginez, vous, une expo en France dans un grand musée, évoquant le centre de détention de la police des frontières de l’aéroport de Roissy ? Moi pas.

Le musée prend aussi le risque de ne pas présenter que des trajectoires édifiantes, des « success stories ».
Un réfugié politique chilien se dit hanté par ses cauchemars de torture et incapable de maîtriser l’anglais après 40 ans dans le pays, ce qui le laisse dans une précarité économique permanente.
Un jeune Tchadien d’origine dit son envie d’étudier la médecine pour plus tard … retourner dans son pays pour y exercer son métier. Un choix qui peut prêter à critiques de la part du contribuable australien.

Plus anecdotique. L’intérieur de différents bateaux est reconstitué pour imaginer les trois à deux mois de traversée (voiliers à voile traditionnels puis clippers, bateau à vapeur et enfin diesel.) Il est écrit : « Sentez-vous libres de vous allonger sur les couchettes, porter les habits, lire les lettres. Ce sont des reproductions. »
Au musée, on m’a toujours dit : « Il faut toucher avec les yeux. »

Cette immigration, on la touche du doigt (avec les yeux) dans la rue.
S’asseoir à une terrasse de café et contempler la foule australienne me ravit et me touche.

Sa diversité culturelle et humaine me ravit : Indiens, Chinois, Indonésiens, Africains, Européens… Chacun a sa manière de marcher, porter sa tête, balancer les bras, lier les jambes au ventre… Une manière personnelle mais culturelle aussi. Chacun sa manière de s’habiller aussi (sauf les mecs du tertiaire contraints au costume de pingouins), de penser, au foot européen pour les uns, au foot australien (« footy ») pour les autres, à chacun ses Dieux…

Sa cohésion me touche. Car des gens si différents ont décidé de se réunir autour d’une idée : celle d’un pays.
L’Australie est perçue comme un eldorado, une terre où on peut s’en sortir en lui donnant un tribut : le travail. L’immigration est donc bien au départ un projet individuel.
Mais pas seulement. Cette ambition individuelle se double d’une fierté à appartenir à une communauté si diverse. Emma, ma nièce de 6 ans fait la liste des enfants de sa classe qui parlent deux langues à la maison, comme elle. Dans la boite de mon frangin, sept personnes sur dix (dont lui), ont obtenu la nationalité australienne. On construit ensemble ce pays. Chacun apporte sa pierre à l’édifice, en espérant en bénéficier.

Ce multiculturalisme m’enchante.
Cette foule n’est pas une troupe de petits soldats, de clones obéissant à une idée totalitaire. Ce sont des individus, mus par des désirs d’une vie meilleure (recherche de liberté politique ou syndicale, de survie tout simplement, de réussite économique …) mais liés les uns aux autres par une idée commune. Si chacun trace son chemin, le cap est fixé par une idée qui transcende les différences : ce pays te donne une chance et il sera aussi ce que tu en feras. (Une idée aux accents libéraux, c’est vrai. Rendue possible peut-être parce qu’il y a de la richesse par le travail à créer dans ce nouveau pays alors qu’en France, il n’y a plus de travail à partager, mais seulement de la richesse par le capital – et quelle richesse ! – à partager. Et cette idée s’accompagne d’un système de protection sociale véritablement déficient, selon les standards européens en tous cas). (Je ne suis pas économiste et cette parenthèse réclame une lecture critique, voir sceptique de votre part).

Serais-je en train d’idéaliser l’Australie ? Peut-être.

Pour illustrer, de manière anecdotique cela, je suis surpris de voir des noirs ou des asiatiques dans les publicités . Pas seulement pour représenter le client, mais le vendeur, donc le porte-parole de la marque.
Par contre, je n’ai jamais vu d’aborigènes dans les publicités. Ils sont absents de ce rêve d’Australie, dont ils ont été les perdants. Ils vivent surtout dans de petites communautés dans le « bush », en marge de la société australienne majoritairement urbaine (85 % des 20 millions d’Australiens vivent dans les cités côtières : Brisbane, Melbourne, Sydney surtout), salariée et consommatrice, bref modelée par le modèle occidental.

Hélas, cette diversité de la population ne se retrouve pas dans ses élus politiques , majoritairement européens d’origine, par un phénomène de génération : ils sont plus âgés que la moyenne nationale même s’ils sont plus jeunes qu’en France (pas difficile, vous me direz) et plus divers dans leur origine (encore moins !).

Et ce choix de société multiculturelle fait vaciller ma défense habituelle du système d’intégration à la française : « le formatage à la gauloise ».
D’une part parce que notre système montre ses limites. Si l’ascenseur social fonctionne bien pour une famille d’origine ouvrière et gauloise comme la mienne, on ne peut pas dire la même chose pour les « deuxièmes générations ».
Et puis le multiculturalisme conduit-il nécessairement à un communautarisme ? Et ce communautarisme est-il nécessairement fermé, étanche à une communauté plus large du pays ?

Ces questions de modèles de société ont agité également l’Australie dans les années 80, soulevées par un historien qui déclarait que l’Australie devait veiller à rester majoritairement de culture anglo-saxonne si elle voulait garder une identité et une cohésion sociale.

Je reste cependant bien Français – laïque (la vie spirituelle doit rester une affaire privée), tendance « laïquard » (le développement d’un pays se mesure à la diminution de ses croyants)– face à la liberté exorbitante dont jouissent les religions et les sectes (leur « start-up »). Chacun peut monter un stand dans la rue et prêcher pour des sectes clairement identifiées chez nous comme dangereuses.

Je crois que plus encore que lors de mon précédent séjour, je vais avoir du mal à retrouver ma France sclérosée, grisonnante ( les « papys boomés » aux commandes), pétrie de certitudes, sans projet, angoissée (sécu, retraite…) et n’ayant d’autres destins à proposer qu’une Europe économique, la défense des acquis, le principe de précaution…

Australie, il ne te resterait pas une petite place ?

Sylvain, Melbourne, le 23 février 2005 (33 °C)

Post-scriptum d’Australie : le message (de trop) qui explique pourquoi trop de messages !

carte australie sylvain

carte australie sylvain

Pourquoi avoir écrit des messages pour Cap vers, – tant et plus et trop –, alors que j’ai toujours prôné l’inverse ?

J’aime en effet que le voyage soit l’occasion d’un détachement, d’une déconnexion. Au sens figuré du terme, en espérant me débarrasser du mouvement brownien des pensées parasites (« J’ai éteint le gaz ? »), des fausses préoccupations (« Nantes – son club de foot ndlr – à fait combien ? ») ou encore mieux des pensées convenues (« Nantes a le plus beau jeu »).
Pour atteindre un autre point de vue, mais surtout pour jouir du bonheur profond d’être un voyageur errant (assurance rapatriement comprise dans la carte bleue), une éponge qui capte la buée du monde (ça ne veut rien dire, mais c’est très joli : la buée des paroles, la rosée du désert précieuse aux aborigènes… Faites jouer votre imagination, merde !)

Or, le sens figuré requiert le sens propre : pas de connexion internet et le carnet de bord, n’a qu’une visée introspective ou de journal de bord.

Mais ce voyage n’était pas habituel. Car il conciliait la famille (mon frangin habite Melbourne avec sa compagne et leurs deux petits) et le voyage.
Or, les deux sont difficilement compatibles. Alors que l’essence de la famille est l’attachement (celui qu’on souhaite et … qu’on ne souhaite plus), le carburant du voyageur est le détachement. (ça nécessiterait des précisions, mais le percutant de la formule la clôt là).

En venant en Australie, je cherchais à cultiver l’attachement à ma famille, en veillant notamment à ne pas perdre contact avec les enfants de 1 et 6 ans. (J’ai ainsi veillé à passer le maximum de W.E. à Melbourne et donc à ne partir que pour 5 ou 10 jours.) J’ai été comblé.

En venant en Australie, je comptais aussi voyager. Pour moi, voyager, c’est découvrir (collectionner des cartes postales), mais surtout atteindre cet « état de voyage », si paisible, si plein, cet état de réconciliation avec soi-même, avec la nature, parfois ses « frères humains »(plus difficile).

Découvrir, je l’ai fait, mais « l’état de voyage », je ne l’ai pas atteint et je le savais avant même de partir : car le détachement par intermittence n’est pas possible !

Dans ces conditions, sachant que la déconnexion « mentale » n’était pas possible, mon grief contre la connexion à Internet tombait et c’est ainsi que j’ai envisagé de vous écrire. Quitte à rester connecté, à ne pas pouvoir débrancher la prise , autant en faire profiter les camarades restés au pays de la lumière grise.

Cela explique pourquoi pas pas de message (vous me suivez ?), mais cela n’explique pas pourquoi tant de messages – trop, selon certains – et pourquoi si longs – trop longs, selon les mêmes ?

Et d’une, je me suis senti une responsabilité (pas écrasante, rassurez-vous) d’administrateur à faire vivre le site.

Et de deux, je me suis pris au jeu. Voyager en solo est une activité surtout physique (crapahuter) et contemplative (laisser son esprit dériver au fil du paysage qui bouge). Ecrire (surtout pour les autres) requiert une attention plus grande qu’écrire son carnet de bord. L’exercice est difficile mais il me plait. C’est une activité cérébrale complémentaire des deux autres. Je l’apprécie en fin de journée. Elle repose les orteils tuméfiés et stimule un cerveau bercé par les endorphines de l’effort et par la rêverie. Et puis je ne dissocie pas totalement le fait de vivre un événement et de l’écrire.

Et de trois, j’ai délaissé mon carnet (lui réservant les pensées les plus intimes) et ces messages sont devenus mon carnet de voyage de substitution. Il m’est alors devenu difficile de n’écrire que partiellement sur mon périple. J’ai eu envie, besoin même, d’une totalité. Tout en étant conscient que trop de messages tue peut-être l’envie de lire les messages. Mais libre à vous de ne pas lire, n’est-ce pas ? Alors que moi, il me fallait bien les écrire. Ce qui ne fut pas toujours facile après une journée à aller et venir.

Mais j’ai toujours eu le souci de vous, lecteurs, croyez-moi. Alors, si ce carnet vous a plus ou moins plu, un petit mot de votre part me ferait plaisir, me disant les plus et les moins : rossignol.sylvain@wanadoo.fr

Goodbye mates !

Sylvain, Laval (-2°C), 26 février 2005