Alain interviewé par Sylvain au retour de Tanzanie (1ère partie)

Alain interviewé par Sylvain à son retour.

éléphants

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Alain, tout juste revenu de Tanzanie, a réservé en exclusivité une interview fleuve pour le site de Cap vers.
Que l’on vous prévienne : rien n’était vraiment prévu.

Cela a commencé par un : « Alors, la Tanzanie, Alain ? ». Puis l’idée est venue d’enregistrer cette conversation, afin d’éviter à Alain des redites.

Vous voilà prévenus : l’entretien n’est pas des plus structurés. Mais ceux qui s’aventureront à poser des questions à Alain sur son périple auront eu la bonne idée de le lire préalablement !

Pour vous repérer dans sa lecture, 6 chapitres :

1) Mon projet initial : qu’il est beau !
2) Bienvenue en Tanzanie : Le guet-apens !
3) Bon, je revois mes plans
4) Le Kilimandjaro et la filière du café équitable
5) Mon safari et l’impact du tourisme-safari sur les populations locales
6) Ce que je retiens du voyage…

Nous – le Président et son vice -, voilà vautrés autour d’un paquet de Petit écolier équitable : 18 biscuits, 9 chacun.
Une révélation dans cet entretien. Alain nous indique l’antidote au blues du retour : passer un voyage…contrasté !

1) Mon projet initial : qu’il est beau !

Sylvain : Alain, peux-tu nous rappeler le projet de ton voyage ?

Je pars toujours en essayant de développer un ou plusieurs thèmes. Pour ce voyage, j’en avais trois.
Tout d’abord, la faune africaine et les conséquences du tourisme-safari sur l’environnement et sur les populations locales.
Le second était le tourisme équitable. Juste avant mon départ, je suis passé à Artisans du monde (un bon point pour notre Président) et j’ai repéré du café qui provenait de Tanzanie. J’ai décidé d’aller voir les producteurs locaux et de suivre la filière.
Le troisième était l’échange, au fil de mon périple, avec des classes de primaires en Mayenne. L’une d’elles a un projet pédagogique sur plusieurs années concernant l’Afrique, notamment sur le système scolaire. J’ai communiqué avec elles par internet. Les enfants me posaient des questions auxquelles je répondais.

Tu es parti quand et pour combien de temps ?

Je suis parti le 15 janvier, pour un mois et demi en tout, pour la Tanzanie, mais pas seulement. J’avais aussi le projet d’aller au Malawi dont on m’avait dit qu’il était plus traditionnel, moins orienté vers le tourisme de luxe que la Tanzanie. En plus, Servane [une adhérente de Cap vers qui viendra présenter son diaporama le 3 avril sur son long voyage en solo en Afrique de l’Est] m’avait donné des photos que je devais transmettre à une école au Malawi.

2) Bienvenue en Tanzanie : Le guet-apens !

On ne va pas reprendre toute la chronologie du voyage puisqu’on peut la retrouver sur le site de Cap vers (merci Christian, on ne le dira jamais assez), mais raconte-nous ton arrivée à Dar es Salam, puisqu’elle a conditionné le reste de ton voyage, d’après ce qu’on a pu comprendre à demi-mots dans tes messages.

Je n’avais quasiment pas dormi la nuit précédant mon arrivée, à cause d’une escale à Dubaï, passée à l’aéroport, sans chambre d’hôtel. Dar es Salam, ça veut dire « havre de paix ». J’arrivai vers 14h. L’aéroport était petit. J’ai changé du fric et j’ai pensé prendre un dala dala, les mini-bus en commun et finalement, j’ai assuré le coup en prenant un taxi jusqu’à l’hôtel. Ma première vision a été bonne : rues grouillantes, pleines de vie, des bagnoles désossées dans la rue, des bouibouis…

J’avais envie de me balader après toutes ces heures d’avion. J’ai déposé mon sac et dès que je suis sorti de l’hôtel, des Tanzaniens sont venus discuter avec moi. Au bout d’un moment, j’ai eu envie d’aller me balader seul, mais il y a un gars, James, qui m’a accompagné et qui a commencé à me parler de sa région natale dans le Nord et de son enfance. La discussion avec James était intéressante et amicale. Nous sommes allés sur le bord de la mer, on a pris une bière. Vers 19 h, j’ai voulu rentrer à l’hôtel. Il m’a conseillé de prendre un taxi avec lui jusqu’à l’hôtel, même s’il était proche, parce que les quartiers n’étaient pas très sûrs, selon lui. Il a marchandé la course pour pas cher. Je monte derrière, lui devant. Au premier feu tricolore, la bagnole a des problèmes techniques, on se retrouve dans une zone ombragée, la voiture tombe en panne, le chauffeur commence à bricoler et James sort un pétard. Il m’en propose en disant « la cigarette de Bob Marley ». Je refuse (bien joué Alain, vous le comprendrez plus tard). Il me propose plusieurs fois la cigarette de Bob Marley. Je dis non. Et là, deux types débarquent, prennent sa cigarette et disent « Marijuana, nous sommes de la répression des drogues ». Ils sortent James de la bagnole et le tabassent dans la rue, le fracassent. Je commence à vouloir sortir, un flic me coince dans la voiture. Les deux soit- disant flics étaient hyper nerveux, impressionnants : « le chauffeur de taxi, vous et James êtes tous responsables. » Ils refoutent James dans la voiture qui était recroquevillé en train de sangloter, complètement paniqué. « Lui, il risque 7 ans de prison, vous aussi, on va maintenant au poste ». C’est là que je commence à voir défiler le film « Midnight express » La voiture redémarre [tien tien !!].

On roule, on quitte la ville. Ils s’énervent toujours autant. « De toute façon, on va au commissariat, c’est le week-end, vous resterez 2 jours en cellule et après la justice dira votre peine. » [on n’est pas passés loin du comité de soutien, les gars !]

Sylvain : Tu as dû leur sortir le grand jeu, j’imagine : je suis citoyen français, l’État de droit, la convention de Genève, je suis le petit-fils du Général de Gaule, etc.

Oui, je leur ai dit que je n’avais rien à voir là dedans, mais ils mettaient la pression. Et là, ils me proposent : « on peut s’arranger : si vous nous donnez 1000 $, on vous libère. » Je refuse « C’est lamentable, on vient faire du tourisme et je me fais alpaguer par des flics » [l’argument ne porte pas. Visiblement, les gars n’étaient pas du Ministère du tourisme]. On roulait toujours, ça a duré une demi-heure. Je leur ai demandé de me ramener à l’hôtel. Et aussi de me montrer des documents prouvant qu’ils étaient de la police. « Vous ne nous croyez pas ! », ils s’énervaient et de temps en temps, ils frappaient James [la preuve de leur qualité de policier ?] pour faire monter la pression dans la bagnole. Et le chauffeur s’en mêlait : « C’est dangereux, mieux vaut donner de l’argent ». James : « Arrêtez la voiture, arrêtez la voiture ». On continuait de rouler. J’ai dit que je n’avais pas beaucoup de fric. Leur réponse : « On va au distributeur ». Et j’ai commencé à donner, mais petit à petit. Ça les énervait. Jusqu’à 150 $. Ils voulaient toujours plus.

Tu t’en es bien sorti, non ? Si c’était à refaire, tu t’y prendrais comment ? De la même manière?

On m’a dit que j’ai eu raison. En donnant petit à petit, ils stressaient eux aussi. Ils voulaient se débarrasser de moi. Ils m’ont lâché près de l’hôtel en disant « si vous le dites à quelqu’un, ça ira très mal pour vous. Que personne ne le sache ! »

Si je n’avais pas donné, ils m’auraient complètement dévalisé. On m’a raconté après que cette histoire était courante. A priori c’était un coup monté. Les quatre étaient de mèche dès le début, y compris James [Pauvre James : quelles conditions de travail !]. Selon toutes les personnes que j’ai rencontrées, si je n’avais pas donné du fric, cela aurait pu plus mal finir : complètement dépouillé plus loin, dans une zone à l’écart. Bien sûr, je ne l’ai jamais revu, le James.
J’ai appris qu’une autre technique classique est de glisser un petit sachet de marijuana dans une poche de ton sac à dos ou de ton pantalon dans la rue et ensuite, le même manège.

Et cette violence, tu crois que c’est une violence généralisée à la société ou tournée vers le tourisme ?

Je crois que c’est surtout dû au tourisme de luxe. Les voyageurs indépendants sont victimes d’une frustration des Tanzaniens que l’on peut comprendre : ils voient des touristes de luxe qui dépensent en quelques jours leur salaire annuel. Et ils font l’amalgame entre touristes de luxe et touristes indépendants. Ils connaissent les tarifs des voyages organisés. Ils me disaient « ce lodge, c’est 300 $ la nuit ».

Quel est le salaire moyen ?

Je connais le salaire de personnes que j’ai rencontrées : 100 $ par mois pour des gens diplômés, niveau bac ou licence, 150 pour un ingénieur. Le plus souvent autour de 50 $. Une journée de safari, c’est 100 $ sur place minimum. J’étais gêné de dire que j’avais passé 5 journées de safari à 100 $ la journée.

3) Bon, je revois mes plans

Tu es resté combien de temps à Dar es Salam, le « havre de paix » ?
Cinq jours.

Il y avait des choses à voir ?

Non, mais j’ai revu mes plans. J’avais le projet d’aller vers Arusha au Nord, mais les échos n’étaient pas bons : plus risqué que Dar es Salam ! Je n’avais pas envie de repartir immédiatement tout seul sans recueillir d’infos avant. J’hésitais même à rentrer directement en France.

C’est donc dès le début que tu as décidé de raccourcir ton voyage ?

Oui, je suis resté longtemps à Dar es Salam parce que je ne savais pas ce que j’allais faire. J’hésitais. Et j’ai changé mon billet.

Mais pourquoi raccourcir de 15 jours, plutôt qu’une semaine ou 3 semaines ? Comment as-tu fait ton choix ?
J’hésitais. Je suis allé à l’agence Emirates. Ils avaient toutes les disponibilités. Même pour le lendemain.

Revenir le lendemain. La honte pour le Président de Cap vers ! [rires]

Oui, mais je me suis dit que j’allais moins oser sortir des sentiers battus, aller dans les petits villages comme je l’avais prévu au départ. Et je ne voulais pas non plus m’obliger à rester pour rester. J’ai mis du temps à me décider et j’ai opté pour un compromis : je reste 4 semaines en me raccrochant à mes objectifs : l’étude de l’impact des safaris, le suivi de la filière du café, la correspondance avec les écoles. Et j’assure en restant dans les sentiers battus. [Le Gillot dans un habitat étranger : le sentier battu !]

Et l’ambassade, elle t’a aidé?

J’y suis allé pour témoigner. J’étais content quand même d’exprimer ça en français. J’ai été bien reçu. Par le consul. Ils ont photocopié mon passeport : « si on vous vole, vous nous appelez. Et ils m’ont donné leur numéro » ! Ca fait drôle, tu pars en voyage, et tu te retrouves en France, avec un flic en uniforme.

Et t’as fait des photos à Dar es Salam ?

Pas une la première semaine ! Je ne voulais pas sortir mon appareil. C’est fou, je voyais les touristes-safaris avec le caméscope en bandoulière, des Américains qui ne se méfiaient pas.
On m’a raconté que si on voulait des appareils photos pour trois fois rien, il suffisait d’aller dans les villages Massaï.

Ca ne t’a pas tenté ? [rires]

¤jrelzajurio’ji,jioioezu [problème d’enregistrement]
Mais on m’a dit qu’il y a des touristes qui les oublient, dans les parcs. Ils les posent et ils oublient.
[re-rires]

4) Le Kilimandjaro et la filière du café équitable

Donc, ensuite, tu es allé directement vers le Kilimandjaro
Oui, sans cette histoire, j’y serais allé par étapes, en m’arrêtant dans des villages. Mais j’ai préféré chercher d’autres voyageurs pour faire le voyage ensemble. Je n’en ai pas trouvé, donc j’y suis allé directement, en bus, sans m’arrêter.

Quels paysages, quel habitat ?

Il y a une petite chaîne de montagnes dans le Nord Est, sinon c’est la plaine, plutôt poussiéreuse. J’ai été surpris par les villages qui sont restés très traditionnels, assez pauvres alors qu’on m’avait dit que la Tanzanie était assez occidentalisée.

Alors, ton arrivée à Moshi, au pied du Kilimandjaro?

Moshi, c’est une grosse bourgade . avec quelques rabatteurs, « What do you need », « Can I help you ? ». Très serviables les Tanzaniens ! Mais pas de problèmes.

La randonnée sur la montagne que tu as racontée dans ton message (sur le site) avait l’air très bien.

Oui, très bien. Je l’ai faite avec un guide et deux Danoises à 50 $ la journée. Mais après coup, j’aurais pu la faire tout seul. Mais je ne l’ai pas senti, à ce moment là.

Tu étais venu dans la région du Kilimandjaro pour la montagne mais aussi pour suivre la filière du commerce équitable. Comment t’y es-tu pris ? Avais-tu des contacts et des adresses par Artisans du monde?

Non, seulement le nom de la coopérative, qui s’est révélée être une grosse coopérative, et la Région : Moshi au pied du Kilimandjaro.

Ça commençait comme une petite enquête?

Oui, dès que je suis arrivé à Dar es Salam, j’ai commencé à questionner les gens. Bizarrement, quand je posais des questions ou quand je demandais à interviewer les gens, on me demandait si j’avais un courrier officiel. Ils veulent savoir qui tu es, d’où tu viens et surtout pour quel organisme tu travailles. Quand je disais que j’étais voyageur indépendant, ça étonnait.

Tu crois qu’avec un courrier Cap vers [Nb :l’asso mondialement connue], ça aurait été plus facile ?

Oui, je pense. Sans courrier, il fallu que je discute plus longuement pour convaincre de ma démarche, notamment auprès des producteurs de café : recueillir des témoignages sur la filière du commerce équitable pour encourager ensuite l’achat équitable.

Donc, comment as-tu établi le premier contact ?

J’ai fait réparer mon pantalon par une couturière à Moshi, celle qui est sur la photo mise en ligne sur le site [encore un bon point « développement durable ». Favoriser l’artisanat local, et particulièrement celui des femmes!]. Le lendemain, j’ai rencontré son frère, Déodat. On a sympathisé. Je lui ai parlé de mon projet sur le café. Son père était planteur de café [c’est louche, ça !!] à 1h30 en dala dala. Là, j’ai eu un autre contact avec les gens. Je suis allé dans son village natal, j’ai visité l’école, nous sommes allés chez ses parents qui tenaient une toute petite ferme : une vache, cinq ou six poules, trois chèvres, un demi hectare de terrain. On a rendu visite à tous les voisins.

Je suis resté huit jours et j’aurais même pu prolonger mon observation de la filière. J’ai appris juste avant mon départ qu’il y avait une usine de torréfaction dans la région alors qu’on m’avait assuré que la torréfaction se faisait exclusivement en Europe. Tout le café est exporté à l’état brut, sous forme de grains blancs. Cette usine torréfie uniquement le café pour la production nationale. [ça sent le diaporama pédagogique, ça !]

C’était du café de la filière équitable ?

Ils le vendent à la grosse coopérative dont j’avais eu le nom à Artisans du monde. Environ 10% de la totalité de la production est vendu sous l’étiquette commerce équitable.

Mais ces 10%, selon toi, ils obéissent aux règles du commerce équitable ?

Oui, c’était véritablement une coopérative dont les administrateurs sont les cultivateurs. La vente sous le label permet de vendre plus cher et de garantir un prix d’achat plus élevé aux cultivateurs. Mais cela aide un tout petit peu. Car les bénéfices supplémentaires tirés de la vente sous le label du commerce équitable sont répartis sur l’ensemble des milliers de coopérateurs.
Les coopératives aimeraient développer le commerce équitable pour garantir un meilleur prix d’achat.

Qu’as-tu observé de la filière du café ?

Les producteurs, l’usine de conditionnement, la coopérative. J’ai notamment rencontré un ingénieur, très accueillant qui était très disponible pour me fournir des informations.