Alain interviewé par Sylvain au retour de Tanzanie (2 ème partie)

5) Mon safari et l’impact du tourisme-safari sur les populations locales

Ensuite, tu as prolongé vers l’Est, la région des parcs naturels.

J’ai rejoint Arusha qui constitue la base de départ de tous les safaris de la région Nord, les plus populaires. Au départ, je pensais plutôt faire des safaris au Sud qui sont moins courus, mais ils sont moins accessibles et donc plus chers.
On m’avait prévenu : Arusha, c’est la ville LA pire de Tanzanie pour la délinquance, à cause de la concentration de touristes de luxe.

Alors, ces cinq jours de Safari ?

Une très belle expérience. Je suis parti avec 2 Norvégiens et un Anglais.

Tes compagnons de voyages étaient des connaisseurs, comme toi ?

Pas vraiment. Ils recherchaient plutôt le lion ou l’éléphant, le spectaculaire. Les « big five » comme on dit là bas : lion, éléphant, rhinocéros, léopard et buffle

Et les guides ?

Un peu déçu. Au début, j’ai recherché en vain un guide vraiment naturaliste. L’agence avec laquelle je suis parti m’a affirmé que les guides étaient spécialisés, ce qui n’était pas vraiment le cas : ils savaient reconnaître les espèces, mais ne connaissaient pas grand chose sur l’habitat, le comportement des animaux.

Tu as vu beaucoup d’animaux ? Tu crois que tu as fait des bonnes photos ?

Oui, tous les grands mammifères et beaucoup d’oiseaux que je ne connaissais pas. J’ai fait une pelloche par jour. Je pense avoir de bonnes photos, des gros plans, avec mon objectif 300 mm.

[pause petit Lu au chocolat, sous le coup de la déception. Une carte postale !]

Camping sous la tente ?

Oui. Le soir, on se retrouve à plusieurs jeeps entre campeurs. L’ambiance était décontractée, ça faisait du bien. Les voyageurs étaient tous emballés par la Tanzanie, en voyageant exclusivement de manière protégée en 4×4, en voyant des paysages qui défilent comme au cinéma.

Concernant ton projet de comprendre l’impact du tourisme-safaris, comment t’y es-tu pris ?

J’ai interviewé les responsables des parcs nationaux sur la gestion, notamment la lutte contre le braconnage. La politique du pays s’est positionnée différemment de celle du Kenya où le safari est développé depuis longtemps. Au Kenya, c’est du safari démocratisé, beaucoup moins cher, mais cela a entraîné des dégradations. Ils y a trop de pression touristique. Tu peux avoir vingt voitures autour d’un lion. La délinquance aussi s’est accrue : une vingtaine de touristes tués depuis l’ouverture des safaris au Kenya.
L’objectif de la Tanzanie est de faire payer cher pour investir dans des structures haut de gamme : 300 à 1000 $ la nuit avec piscine.

Une piscine, mais avec quelles réserves d’eau ?
Des forages.

A les écouter, ça te semblait crédible cette stratégie de faire payer plus pour protéger la nature ?

Relativement. Comme ils récupèrent beaucoup d’argent, ils recrutent des milliers de rangers pour lutter contre le braconnage. Mais il en reste encore beaucoup : 40 000 animaux tués par an par les braconniers.

A qui profite cette économie du tourisme -safari ?

En grande partie au gouvernement, je pense. Mais ensuite, dans quelle mesure ça profite aux populations locales, c’est difficile à dire. Le gouvernement réinvestit dans des moyens d’accueil luxueux. Il y a 10 ans, les structures hôtelières étaient quasiment inexistantes. La politique du gouvernement est d’augmenter encore plus les tarifs pour sélectionner la clientèle, faire venir des devises et développer les parcs. Il joue sur cet atout avec l’objectif de dépasser largement le Kenya au niveau des recettes touristiques. Le gouvernement a le projet de développer 2 nouveaux parcs.

Quelles conséquences pour la population locale ?

Elle est confrontée à deux difficultés qui se conjuguent.
D’une part, sa population augmente, comme celle des Massaï qui a doublé en 30 ans ce qui conduit les familles à diviser les parcelles et à les réduire de plus en plus.
D’autre part, quand un parc est créé, la population qui vit sur son territoire est déplacée.
On a d’un côté une population qui croît et de l’autre des zones protégées interdites aux habitants qui augmentent, ce qui accroît la pression démographique dans les zones habitables. Or, les nomades ont besoin de grandes étendues pour faire paître leurs troupeaux.
En contrepartie des déplacements, le gouvernement propose d’autres terres et des compensations : vétérinaires, soins, école gratuits. Certains sont intéressés, mais pas tous.
On se retrouve dans un équilibre à trouver entre protection de la population locale, de l’environnement et développement économique.

Sans la création des parcs nationaux, il est certain que des grands mammifères seraient aujourd’hui exterminés par le braconnage. Les rhinocéros notamment. Dans le Nord, il n’en reste que 14, pour 250 il y a une vingtaine d’année. Une corne de rhinocéros est vendue 85 000 euros en Asie, pour ses vertus aphrodisiaques.

As-tu également rencontré des associations de protection de l’environnement non affiliées au gouvernement, des ONG ?

J’ai rencontré plusieurs assos à Dar es Salam et à Arusha. Notamment une importante : African Wild life, c’est un peu la WWF pour l’Afrique de l’Est. Tu retrouves les mêmes profils de personnes qu’en Europe. J’ai eu de très bons contacts avec les militants. J’ai bien discuté avec un botaniste. Ils m’ont donné accès librement à leur centre de documentation et même à leurs bureaux. J’allais potasser dans les bibliothèques ou m’installer dans un bureau. J’avais mes habitudes. Comme si j’allais bosser !

6) Ce que je retiens du voyage…

Qu’est –ce que tu retiens de ton voyage ?

[rires d’Alain]
Le premier jour ?
Oui, quand même !

Quand on t’écoute, ce qui surprend, même si ça peut paraître évident, c’est à quel point le sentiment de sécurité est un préalable à tout. Sans sentiment de sécurité, tu ne peux profiter de rien. C’est d’autant plus frappant que tu as une sacrée expérience du voyage en solo, y compris en Afrique et que tu n’es pas du genre flippé.

C’est vrai, tu redécouvres que la sécurité est essentielle. Au départ, je suis arrivé vraiment confiant ; vigilant et confiant. Si je n’avais pas eu ma mauvaise expérience du premier jour, je n’aurai pas hésité ensuite à prendre les dala dala. Mais ce premier jour a marqué mon voyage.

Et tu crois que ça va changer ta manière de voir le voyage, ou ta manière de voyager ?

Un peu, par rapport à la sécurité. Un moment, j’ai regretté de voyager seul. L’appréhension était partagée par les voyageurs en solo que j’ai rencontrés. Mais peut-être que je me suis focalisé dessus, aussi. Ça n’est pas objectif, forcément. J’ai aussi rencontré des voyageurs qui voyageaient seuls et qui venaient de Nairobi, où c’est pire [décidément, on trouve toujours pire au pire]. A Nairobi, ils ont des flingues. Comparativement, ils trouvaient la Tanzanie plus calme.

[pause tourista]

Tu as regretté de partir seul ?

Au début, mais ensuite, cela a plutôt facilité les choses, pour développer mes projets. Je suis resté huit jours à Moshi pour suivre la filière du café et ça n’aurait pas forcément intéressé un compagnon de voyage.

Donc, tes projets de voyage t’ont bien aidé, non ? Sans eux, tu aurais été un peu désemparé après l’agression du début ?

Oui, c’est sûr. Juste après, je me suis dit : qu’est –ce- que je fous là ? Si c’est pour me faire plumer, ce n’est pas la peine. Je me suis donné un mois pour travailler sur ces projets.

La Tanzanie, un pays que tu ne recommanderais pas à un voyageur indépendant en solo ?

Je ne sais pas. Regarde, Servane, [rappel : son diaporama le 3 avril] elle, a voyagé seule, sans problème. J’ai aussi rencontré des filles qui voyageaient seules.
Il y a également beaucoup de problèmes de palu. J’ai rencontré plusieurs personnes qui l’ont chopé sur place. Notamment un couple d’Anglais dont la fille était à l’hôpital. Une prof de plongée aussi sur Zanzibar. Une Allemande également, complètement « barrée » : « c’est pas facile de voyager seule, surtout avec le palu. Pendant les crises, c’est compliqué. » Je suis resté très strict sur la protection passive : vêtements amples et moustiquaire dès le soir, tous imbibés de répulsif. Je n’ai pas pris de médocs préventifs. Je pense n’avoir eu aucune piqûre.

Mais rassure-moi, tu as le blues du retour ?

Ah, non, pas cette fois [Non ! Alain guéri de la pathologie du voyageur chronique ! Il a trouvé le remède]. On est bien à l’Huisserie. [sourire énigmatique : du lard ou du cochon ?]

Tu n’as pas eu un petit regret quand il a fallu repartir ? L’envie de rester un peu plus longtemps ?

Oui, [Ouf !!] j’ai manqué un peu de temps pour mes projets, mais j’avais déjà dépassé mon budget : plus de 2000 euros au total pour 4 semaines (visas, avions, photos compris). Alors qu’il y aurait eu moyen de vivre pour moins cher si j’étais plus sorti des sentiers battus.

Racket compris ?
Racket compris !

-Fin-